Historiques

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Historiques


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Nos remerciements a notre ami du Festival Dr Ali Ouertani


Hammamet, la ville de toutes les chances, une ville à la blancheur immaculée, au ciel bien bleu qui, au loin, se marie au bleu limpide de la mer, une ville à la lumière éclatante qui vient féconder la verdure de cet immense jardin, aux limites infinies, pour que règne l’oxygène pur de la vie, une ville où le sable fin et chaud de l’interminable plage se laisse caresser, en douceur, par ces petites vagues que la mer Méditerranée nous envoie, frémissante comme une symphonie de Bach au prélude ensorceleur, Hammamet où le paradis est terrestre (Hammamet ya janna, chante Naâma), c’est la ville touristique par excellence, mais c’est aussi une ville de l’art.


Son festival y a ajouté une dimension culturelle, profondément artistique où la recherche de l’art dans ce qu’il a de plus sain, voire de la pure spiritualité, l’emporte sur la rentabilité des chiffres qui n’a jamais marqué ni l’histoire de l’art ni l’art tout court. Ceci, d’autant plus que, avec seulement 1.000 places, ces chiffres auront toujours du mal à être extravagants! Le festival a aujourd’hui quarante ans, l’âge de la sagesse, «l’âge des prophètes» (disait Adam Fethi), l’âge où l’on commence à se poser des questions de taille sur la vie, l’âge où l’on prend le temps de méditer. Nous allons voir comment se sont passés ces quarante ans, en particulier les programmes proposés depuis sa création.


1962 : le «Centre culturel»

Au début des années soixante, le choix des hommes politiques et des décideurs se porta sur le tourisme pour donner au pays, au lendemain de l’indépendance, une économie rentable et créatrice d’emplois. Hammamet, petite ville, presqu’un grand village, se dota alors petit à petit d’infrastructure hôtelière et surtout d’un programme d’avenir croissant.

Dans le même temps, Dieu merci, des hommes de bonne volonté estimaient que, parallèlement, la culture avait aussi un rôle à jouer dans le pays. Parmi ces hommes, il y avait entre autres : Hédi Nouira, futur Premier ministre des années 70, Cécile Hourani, intellectuel libanais, à la culture mi-arabe, mi-occidentale, mais aussi le grand historien Hassan Hosni Abdelwahab et le Cheikh Fadhel Ben Achour, futur mufti de la République. Ils créèrent «le centre culturel» de Hammamet, et ce, en 1962. A caractère tout à fait bénévole, le centre avait pour but «d’encourager tous les efforts pour faire connaître et développer la culture arabe». Retenez cet objectif, nous reviendrons la-dessus lors de l’évaluation du contenu des programmes et de leur évolution. Le moyen d’y parvenir était donc l’organisation de «festivals» intellectuels et artistiques avec la logistique adéquate. Cela se passait à «Dar Sébastien». Mais on a vite compris la nécessité de construire un théâtre pour ces festivals, ce qui fut fait deux ans après et le 31 juillet 1964, le théâtre de Hammamet, conçu et réalisé à la grecque, avec ses 1.000 places, était opérationnel!


 

1964 : création du festival de Hammamet

Ainsi l’on peut dire que dans les conditions de l’époque, la réalisation de ce théâtre était comme un défi à relever à tous les niveaux car il fallait, coûte que coûte, que la première représentation du premier festival fût donnée au délai prévu.

William Shakespeare, dont on fêtait le 400e anniversaire (de sa naissance), était tout indiqué. On joua alors Othello, avec un Aly Ben Ayed, l’artiste numéro 1 du pays à l’époque, au sommet de sa forme et de son génie. A ses côtés, Jamil Rateb, dont l’Occident connaissait le rôle dans le célèbre film : Lawrence d’Arabie. Le rôle de Desdémone revenait à une artiste libanaise, Théodora Raissi. La traduction fidèle du texte de Shakespeare était du docteur Khémiri, et les costumes d’un peintre algérien du nom de Abdelkader Farah, qui faisait les décors pour la Troupe royale de théâtre en Angleterre. Le premier directeur de ce festival n’était autre que Cécile Hourani, dont on a parlé plus haut. Le programme comportait deux autres spectacles: un ballet de danse classique de la jeunesse musicale française et un concert de piano de l’Abbé Simon. Le nombre de soirées était de six. Nous verrons plus loin si les choix de programme dépendaient, peu ou prou, de la personnalité, des goûts et des priorités artistiques du directeur du festival.

 


 

 

Les directeurs se suivent et ne se ressemblent pas

De grands noms de la culture se sont succédé à la direction du festival, certains sont restés plus longtemps que d’autres :

• Après Cécile Hourani, ce fut au tour de Naceur Chlioui.

L’année 1965 comporta 9 soirées et se caractérisa surtout par un spectacle de ballet signé Maurice Béjart, qui sera donné les 17, 18 et 25 juillet. Deux soirées furent réservées à la musique classique. Quant au théâtre, il occupa les 4 soirées restantes avec notamment Caligula de la Troupe municipale de Tunis avec Aly Ben Ayed et Bérénice de Racine.

L’année 1966, quatre spectacles de musique étrangère, un spectacle tunisien «Zembra» mélangeant malouf et flamenco, mais une seule pièce de théâtre avec Aly Ben Ayed : Mourad III. Cette pièce, faut-il le rappeler, a été revisitée l’an dernier, pour notre plaisir, par Mohamed Driss.

• L’année 1967, Tahar Guiga prit les commandes pour une décennie.

Ce fut une année particulière à notre avis, puisque notre pays relevait à ce moment-là un défi bien plus important : les Jeux méditerranéens. C’est pourquoi nous avons noté le démarrage heureux de représentations des arts populaires de 13 pays, pratiquement tous les soirs pendant quinze jours. Il est à noter que les trois autres spectacles programmés étaient des pièces théâtrales.

L’année 1968 : deux ballets français et deux pièces de théâtre. Une année assez sobre. Nous savons qu’en France, deux mois auparavant, il y avait mai 68, cette révolte des jeunes avec ses répercussions sur la jeunesse française mais aussi internationale. Il est très difficile en revanche du reste de dire si ces évènements ont eu une quelconque influence sur le programme du festival.

Les années suivantes, on a alterné théâtre et ballet d’un côté avec quelques spectacles de musique étrangère : Myriam Makéba en 73, Sabeh Fakhri en 74, Wadia Essafi en 75, Nes El Ghiwane en 76, le chanteur Idir en 77. Jusque-là, il est important de savoir qu’aucun chanteur tunisien n’a assuré une seule représentation à Hammamet. L’observateur constatera une petite spécificité de l’année 72 : c’est pratiquement la seule année où l’ouverture et la clôture ont été assurées par le même spectacle ; il s’agissait de la pièce Les Nègres, Az-zanj, texte de E. Madani et mise en scène de Moncef Souissi.


• Avec Rached Hamzaoui, le nombre de soirées est beaucoup plus important : 26 en 1980, un record pour cette époque. Il y avait également des ballets et du théâtre avec des spectacles étrangers et de la musique avec notamment Marcel Khalifa mais il y avait surtout, pour une fois, plusieurs artistes tunisiens, à savoir Lamine Nahdi, Hédi Habbouba, Souad Mahassen, Hédi Guella, le chanteur engagé, et surtout la clôture avec Lotfi Bouchnaq qui participait pour la première fois.

En 1981, théâtre, ballet et musique sur 13 soirées. On note la participation de Mohamed Jamoussi et Safoua. Quant à l’année 1982, par solidarité avec les Palestiniens lors du drame de Sabra et Chatilla, le festival n’a pas eu lieu.


• 1983, Tahar Labib dirigea le festival : ce fut une année riche de théâtre surtout mais aussi de ballet avec toujours peu de musique tunisienne. Seul Chérif Alaoui a pu y prendre part. En 1984, ce fut au tour du seul Abdelkader Asli, mais cette année là, sous la direction de Ezzeddine Madani, le programme comportait 50% de théâtre. Le même directeur, l’année suivante, opta davantage pour la musique. Le seul artiste tunisien s’appelait Anouar Brahem.

• Avec Fraj Chouchène, de 1985 à 1989, davantage de musique, des musiques du monde. Notons une soirée Salah Mehdi en 1986, Lotfi Bouchnaq en 87, et Latifa Arfaoui en 88, une année caractérisée par beaucoup de pièces de théâtre. En 89, un hommage a été organisé en l’honneur de Naâma. Disons tout de suite que les hommages aux vivants sont bien plus émouvants que ceux aux artistes disparus, bien que ce soit, là aussi, le devoir d’une nation de reconnaître les mérites de ses enfants.

• En 1990, sous Wahid Essafi, on a donné la parole aux «voix de la liberté» formées de Mohamed Garfi, Marcel Khalifa et Oumaïma Khalil, Sonia Mbarek s’est chargée de la clôture.



• Les années Raja Farhat (92 à 95) ont été heureuses pour le théâtre. C’est ainsi qu’en 1993, une semaine de théâtre méditerranéen a vu le jour. Mais l’année suivante, de grands spectacles de musique, parallèlement à de grandes soirées théâtrales, ont marqué le festival : Nosrat Ali Khan, Cheb Khaled et, en clôture, Nabiha Karaouli.

• La saison 95 revint à Ali Louati : un spectacle de Fadhel Jaziri et Samir Agrebi ouvrit le bal. Deux soirées théâtrales : Les amoureux du café désert de Fadhel Jaïbi et Ma taâllakch (ne raccroche pas !) de et avec Lotfi Dziri. Deux soirées de danse avec un ballet tchèque et un autre des Etats-Unis, mais le reste fut réservé à la musique. Deux soirées jazz dont la présence de Dee Dee Bridgewater, une soirée avec Cesaria Evora, qu’on a revue ces derniers temps à Tabarka. La participation tunisienne était assurée surtout par le duo Mourad Sakli-Lassaâd Zouari, mais aussi Ali Saïdane dans El ghnaya (la chanson).


• Taoufik Besbès, à partir de 1996 et pour 5 ans, laissera son empreinte. Sa première année fut très variée et l’on y relève la participation de Sabeur Rebaï et l’hommage rendu en clôture à Béchir Selmi. Le nombre de soirées augmenta sensiblement ainsi que la variation de spectacles : l’ouverture revint à la Rachidia en 97 et, un peu plus loin, on retrouve Zied Gharsa puis Lotfi Bouchnaq. Moins de théâtre et plus de musique, mais une musique bien variée : Angham, Cheb Khaled, Mustapha Kamar, Johnny Cleg, Kadhem Essaher, Rachid Taha et Faudel, Sapho, Mayada Hennaoui… Pour la Tunisie, seule Nawel Ghachem était là. Cette tendance continue en 99 malgré la représentation de plusieurs pièces de théâtre de valeur : Les feuilles mortes de Ezzeddine Gannoun et Soirée particulière de Fadhel Jaïbi. Enrico Macias vint rappeler «qu’elles sont jolies les filles de son pays» et Wadia Essafi chanter El Ouidiane. En 2000, l’ouverture rend hommage à Ali Riahi, spectacle conçu et réalisé par Béchir Drissi. Nous l’avons toujours et de plus en plus en mémoire par rapport aux hommages auxquels nous avons assistés par la suite. Mais là n’est pas le sujet. Le bon théâtre y est présent avec notamment: Nouassi de Gannoun, la musique soufie avec Lotfi Bouchnaq et la musique tunisienne avec Tahar et Zied Gharsa. Mais les musiques du monde continuent d’être présentes et très variées. La période Besbès aura bien marqué le festival de Hammamet.

• Moncef Chatti prit la relève. Certains spectacles ont été capitaux en 2001, Hkaya taouila de Mourad Sakli, Zied Gharsa et Dorsaf Hemdani, Jounoun de Fadhel Jaïbi, Melhem Baraket, Sonia Mbarek et la clôture avec Bouchnaq. Le ballet syrien de danse Inana arracha les cœurs. Le cinéma fit sa rentrée, une semaine durant. Cela continua en 2002 avec un programme on ne peut plus riche sur tous les plans. On y notera l’élection de Miss Tunisie, une première, et la clôture avec le succès de Lamine Nahdi et de son «sardouk». En 2003, nous en sommes témoins, le public a quelque peu déserté le festival qui n’a pas eu le succès escompté, celui des années précédentes. Moncef Chatti quitte, laissant la place à Fethi Kharrat en 2004.


Les orientations générales

Nous nous sommes basés pour cette étude sur un travail très important de Leïla Ben Thabet, une étudiante de l’Institut supérieur de musique, sous la direction de Mourad Sakli, avec des tableaux comparatifs très éloquents.

Mais aussi sur le grand travail d’archivage qui a été mis à notre disposition par le centre que nous remercions pour son aide.

Le théâtre

On lit un peu partout que le festival de Hammamet était conçu au départ pour le théâtre. Or durant les années 60, les pièces de théâtre n’ont jamais dépassé 3 soirées par session. Les années 70 ont vu Tahar Guiga en proposer presque le double et Rached Hamzaoui une seule pièce en 78 et aucune en 79. Les années 80 ont été plus prolifiques sous Ezzeddine Madani avec une pointe en 1984 où il y a eu 8 représentations théâtrales en 16 soirées! Sous Fraj Chouchène, très peu de théâtre au début mais pourtant une pointe, en 88, avec 8 pièces en 19 soirées.

Avec Raja Farhat et Taoufik Besbes, on ne dépassait guère les 3 représentations. Nous pensons donc qu’il n’y a pas lieu d’insister sur la vocation théâtrale du festival de Hammamet au vu des programmes.

Le ballet

Il a représenté 1 spectacle sur 2 pendant les années soixante; 1 sur 3 en moyenne durant les années 70; 1 sur 5 pour les années 80 et pas plus de 1 sur 7 pendant les années 90.

L’engouement du début s’est estompé pour ce genre de spectacles.

La chanson arabe

On constate l’absence de la chanson arabe classique durant les années soixante alors qu’elle est au summum de sa gloire. C’est peut-être pour offrir autre chose, justement. Les années 70 ont vu ce nombre augmenter sensiblement, pour diminuer de nouveau pendant les années 80 et 90 puis occuper une bonne place les dernières années.

Quant à la chanson arabe du moment (hors classique), elle a vu sa cote augmenter sensiblement pour représenter 35% des spectacles alors que pendant toutes les années 60 il n’y a eu que 3 soirées. C’est ainsi qu’en 1994, pour son 30e anniversaire, le festival a fait appel à plusieurs stars arabes. La chanson arabe domine donc depuis plusieurs années et cela est lié à l’augmentation du nombre de ses vedettes.


Les conclusions qui s’imposent

D’abord la vocation théâtrale de Hammamet, nous l’avons dit, est discutable. Pourtant, dans une déclaration de Cécile Hourani à la Presse, en juillet 1966, il dit : «le festival consacrera surtout le théâtre». Ali Loueti, dans le même sens, déclare que «la vocation de Hammamet est principalement théâtrale» et que «Carthage et Hammamet doivent ainsi garder leur spécificité et se compléter». Ces déclarations ont été rapportées par Leïla Ben Thabet dans son mémoire. Dans les faits, nous ne constatons que très peu cette spécificité pour ne pas dire du tout.

Ensuite, il est aléatoire de parler de stratégie concernant les programmes de ce festival, celui-ci ne pouvant être pris comme un exemple idéal. Nous avons relevé à la fois les déclarations de deux directeurs qui, en fait, se complètent, au sujet de la vocation générale du festival : Taoufik Besbes parle de «tarfih» (loisirs) alors que Moncef Chatti insiste sur l’effort à faire sur le plan culturel pour «élever le goût du public» et «lui faire connaître les créations surtout tunisiennes».

Le rôle joué par chaque directeur est important mais en l’absence de cette stratégie générale, c’est quelquefois au petit bonheur la chance. Il y a, en effet, tellement de facteurs qui entrent en ligne de compte et dont certains ne dépendent pas toujours de la bonne volonté du directeur…

Malgré cela, nous avons constaté des choix plus appropriés à l’un ou à l’autre, selon sa propre culture ou sa propre spécialité. L’exemple-type étant Cécile Hourani qui s’avère être en nette contradiction avec l’objectif premier que nous avons cité et qui est de «faire connaître la culture arabe».

Ce festival n’a pas non plus axé ses programmes sur le patrimoine. Il n’a pas souvent favorisé la musique tunisienne dans ce qu’elle a de plus authentique. Or cela peut lui donner un caractère et une spécificité. En fait, seul Taoufik Besbes a programmé la Rachidia en ouverture en 97 et deux soirées avec Zied Gharsa la même année et l’année suivante.

Nous souhaitons enfin à ce festival que nous aimons particulièrement qu’il se trace une identité et qu’il développe une stratégie en rapport avec ses moyens. Il peut aussi se créer un créneau en rapprochant la culture du tourisme et œuvrer pour que dans nos hôtels, on ne donne pas seulement l’image de la bédouine qui fait la danse du ventre avec une jarre sur la tête. Il y a longtemps que nous n’en sommes plus là, heureusement!

Par Ali OUERTANI


La Presse du 14 sep 2004